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06 octobre 2022

Carnet / À propos de L'Unique et sa propriété de Max Stirner

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Ma vieille édition de l'Unique et sa propriété

L’Unique et sa propriété de Max Stirner (Johann Kaspar Schmidt, 1806-1856) est un des livres rescapés des purges successives auxquelles je soumets régulièrement ma bibliothèque. Je l’avais demandé comme cadeau d’anniversaire pour mes seize ou dix-sept ans et à cette époque, j’avoue m’être plus d’une fois essoufflé à sa lecture, d’autant que la philosophie ne m’a jamais passionné. 

En bon individualiste que je suis toujours et que j’étais encore plus lorsque j’étais jeune homme, le titre avait tout pour m’attirer, unique et propriété étant les deux piliers de mon édifice intellectuel, encore qu’à l’époque, je n’avais qu’une vague intuition du sens élargi que revêt le terme de propriété dans la pensée de Stirner. Je n’en compris évidemment pas toute la portée, ce qui n’avait rien de surprenant ou de honteux pour un gamin en pleine découverte. Je trouvais cette lecture ardue mais je ne pouvais m’empêcher d’y revenir entre de longues pauses, ce qui explique que l’idée de me débarrasser de cet ouvrage ne m’ait jamais effleuré.

L’adolescence et la jeunesse terminée, je laissai au rayon des souvenirs et des curiosités les constructions philosophiques et politiques de Max Stirner, lesquelles, comme tous les systèmes de pensée attachés à une cohérence extrême, se cognent irrémédiablement au réel dont s’accable la maturité. Classique, mon erreur de jeunesse avait été d’essayer vainement d’établir trop de passerelles entre les concepts de Stirner et la réalité, ce qui parasita ma lecture. Il m’eût fallu comprendre plus tôt et plus vite que la philosophie n’est pas là pour nous tracer des routes mais pour nous aider à suivre des pistes et des sentiers. 

Dans l'univers des concepts, L’Unique et sa propriété n’a pas pour finalité de s’incarner dans le monde matériel en un jeune homme en quête de sens, ce que je finis par comprendre en prenant un peu de bouteille ! Et puis, nous le savons, quel terrible danger que tout système philosophique visant à se réaliser à l’état pur dans l’organisation intellectuelle d’un individu ou dans celle d’une collectivité et pire encore d’une société : folie furieuse (individuelle et collective) garantie. 

Pourtant, bien rangé sur son étagère, le livre de Stirner se signale de nouveau à moi, à vrai dire depuis la révélation de la pandémie de Covid 19 avec son cortège de scandales politiques, de pression sociale et de mesures annonçant de nouvelles formes de pensées et de pratiques totalitaires. Je n’emploie pas le mot révélation par hasard. La pandémie est un révélateur de l’état de nos individualités et de nos sociétés. Elle révèle que, contrairement aux apparences, ni les unes ni les autres n’ont changé depuis les deux guerres mondiales. La même résignation, le même conformisme, la même indifférence, les mêmes comportements frileux et moutonniers, la même hypocrisie, le même cynisme et surtout la même acceptation de l’inacceptable sont au rendez-vous. 

Dans les crises de folie collective, l’individu ne pèse rien, il n’est plus l’Unique et n’a plus de propriété puisqu’il appartient lui-même au soi-disant intérêt général qui n’est en réalité que l’intérêt des classes dominantes et des gens qui dorment. Au secours, Max Stirner ! 

Ce n’est pas non plus un hasard que ce philosophe me fasse de l’œil chaque fois que s’exerce sur moi et sur bien d’autres, évidemment, la pression du collectif, en l’occurrence d’une démocratie à la dérive en direction d’une post-démocratie dans laquelle l’individu sans réaction perdra unicité et propriété. Je ne suis pas allé par hasard me frotter à la pensée de Stirner. À l’époque où j’ai ouvert son livre pour la première fois, je vivais sous la menace du service militaire obligatoire. 

Je relis maintenant de nouveau ces pages dans le monde que vient de nous révéler la pandémie, ce monde dans lequel nous nous croyions libres parce que les crises étaient éloignées de nous, voire dissimulées ou niées par des autorités non élues (sanitaires, européennes… Choisissez l’adjectif) avec la complicité de leur valetaille gouvernementale nationale. 

Je suis bien sûr très loin de partager la radicalité de Stirner sur sa conception du moi affranchi de toute limite mais en ces temps où nous vivons le retour sournois et brutal de la pression voire de l’oppression du collectif sur l’individu et des attaques de plus en plus directes de la post-démocratie contre la sphère privée (pour notre bien censé correspondre en toute occasion au bien public), je crois que L’Unique et sa propriété est un livre qui a encore quelque chose à nous dire.

 

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05 octobre 2022

Un extrait de mon roman CHARMES

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Lisbonne, parc Principe Real (photo © Christian Cottet-Emard)

Extraits des carnets de notes du rédacteur Antoine Magnard.

Ça ne vous dirait pas de reprendre l’affaire ? Nous étions occupés en silence à brasser des paperasses dans le bureau de Jenkins lorsqu’il me posa la question sans même me jeter un regard. Il ouvrit un dossier, parapha des pages et ajouta : vous savez, Antoine, vous entrez dans la trentaine, vous n’êtes pas encore vieux mais la jeunesse est passée. Ce serait l’occasion de vous caser ou du moins de vous stabiliser. C’était la première fois que Jenkins m’appelait par mon prénom depuis le début de nos années de collaboration. Il rangea le dossier dans un tiroir, leva les yeux vers moi et soupira. Non bien sûr, ça ne vous dit rien, je suis même certain que vous n’y avez jamais pensé. Vous êtes comme l’oiseau sur la branche. Dans un sens, je vous envie un peu, mais que cela ne vous empêche pas d’y réfléchir, assez rapidement si possible. Il se servit un verre de Woodford. Vous en voulez un ?

La dernière fois que je le revis, ce fut un an après à Lisbonne. Il avait pris subitement sa retraite et s’était installé dans un immense appartement dans le quartier du Principe Real. Pour moi, les conséquences ne se firent pas attendre. Mon licenciement me fut notifié par un sous-fifre de la Direction des Ressources Humaines du groupe qui avait absorbé les sociétés de Jenkins. Il m’avait convoqué dans le bureau où Jenkins m’avait proposé de reprendre son entreprise et s’était arrangé pour m’imposer des conditions de travail et de rémunérations que je ne pouvais accepter. Au cas où je serais suffisamment naïf ou impulsif pour le faire, ce petit nettoyeur essaya de me pousser à démissionner de ma propre initiative mais il comprit vite que je ne lui ferais pas ce cadeau. L’affaire se régla donc avec un licenciement économique et une transaction financière dont le montant confortable ajouté aux allocations de chômage pouvait m’assurer au moins deux ou trois ans de répit. Lorsque tout fut signé, je reçus un appel un peu gêné de Jenkins. Puisque vous avez du temps, venez donc me voir à Lisbonne, cela me ferait plaisir. Nous parlerons. Je me demandais bien de quoi nous pourrions parler mais j’acceptai l’invitation. Jenkins voulait m’héberger mais j’ai toujours préféré l’hôtel où je me sens plus à l’aise. Ayant déjà séjourné à Lisbonne lors d’une ancienne escapade dans cet établissement, je réservai une chambre au VIP Executive Éden, un ancien théâtre aménagé en hôtel, place des Restauradores non loin de la place du Rossio. À l’étranger, j’aime loger dans des hôtels pas forcément somptueux mais confortables et anonymes où l’on parle français et où l’on sert des petits déjeuners copieux et standards. Plutôt casanier, je ne voyage pas pour découvrir d’autres cultures, j’ai déjà encore assez à apprendre de la mienne, la culture occidentale. En voyage, je ne cherche pas le contact avec les gens du pays que je visite, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier la gentillesse et la courtoisie qu’on trouve beaucoup plus à l’étranger qu’en France. Jenkins me taquinait parfois sur ce sujet et concluait invariablement : décidément, vous me faites penser à moi quand j’étais jeune ! C’était sa manière laconique de me dire qu’il m’aimait bien.

J’arrivai à Lisbonne un jour doux et gris de fin septembre avec une journée d’avance sur notre rendez-vous. Jamais je ne m’étais senti si libre et détendu. Pendant que je flânais l’après-midi vers le Tage entre le quai des Colonnes et le Rossio après un détour dans le Chiado, le temps se leva un peu. Aux terrasses des bars les plus modestes, des routards se faisaient servir un bol de soupe maison, un sandwich et une Sagres ou une Super Bock pour quelques euros. Le soir, je longeai les enfilades des terrasses à touristes où les serveurs vous alpaguent et tournai à l’angle de la petite rue où je me souvenais du restaurant Bonjardim avec son poulet frites et sa morue grillée. Je choisis la morue grillée avec ses pommes de terre vapeur et une bouteille de vin blanc que je laissai au choix du serveur, un monsieur assez âgé d’apparence bourrue qui ressemblait au chef d’orchestre Lorin Maazel mais qui me gratifia d’une petite tape cordiale sur l’épaule quand j’eus ajouté un pourboire conséquent à l’addition. Le lendemain, plutôt que de me faire servir le petit déjeuner à l’hôtel, l’envie me prit de me mêler tout de suite à l’animation quotidienne de la matinée encore grise mais pleine d’entrain. Je pris un grand plaisir à descendre directement sur la place que je traversai avant d’entrer dans un petit bar dont la vitrine était remplie d’étroites bouteilles de Ginja avec leurs étiquettes ornées de cerises. J’accompagnai mon café au lait de brioches et de croissants fourrés à la confiture puis je sortis fumer un petit Partagas Club qui me restait d’une boîte offerte par Jenkins. J’avais rendez-vous chez lui à midi, ce qui me donnait largement le temps de rejoindre à pied les grands cèdres du parc du Principe Real. Puisque j’étais très en avance, j’y trouvai un banc libre où je pus observer à loisir les clients d’une petite librairie ambulante aménagée dans une Estafette Renault bleue et blanche stationnée dans la rue. On y trouvait des livres et plaquettes d’auteurs portugais, certains traduits en anglais et en français.

Comme je l’avais prévu, j’eus des difficultés à repérer l’immeuble de Jenkins. Je réussis à l’appeler avec mon portable qui donnait des signes de faiblesse. Sur ses indications, je trouvai une porte discrète dont l’ouverture se déclencha lorsque j’eus composé le code qu’il venait de me communiquer. Un hall immense, un ascenseur vieillot puis une autre porte en bois, massive, très haute, à double battant. Je sonnai. La porte s’entrouvrit et un jeune type blond habillé assez chic m’invita à entrer. Je le suivis dans de grandes pièces en enfilades, peu meublées. Il ouvrit une porte qui grinça et Jenkins apparut, égal à lui-même, en costume strict avec l’éternelle cravate diplomatique. J’eus droit à une rapide accolade. Heureux de vous revoir, Antoine ! Asseyez-vous, je vous prie. Deux vastes canapés Chesterfield étaient disposés à angle droit. Des boiseries partout et des lampes aux globes en pâte de verre qui luisaient faiblement dans la pénombre. On se serait cru dans un club anglais du dix-neuvième siècle. Nuno, dit Jenkins en faisant signe au blondinet qui disparut et revint quelques instant plus tard avec une bouteille et deux verres à Porto sur un plateau d’argent. Jenkins s’occupa lui-même de déboucher la bouteille. Obrigado, Nuno. Le blondinet se retira et Jenkins servit ce Porto Vintage qui devait coûter les yeux de la tête. Il commença par le goûter puis remplit mon verre. À votre santé, Antoine. J’espère que ce Porto vous plaira. Si tel est le cas, nous devrons lui faire un sort car ces vieux flacons doivent être bus dans les heures qui suivent. Après quelques bavardages, nous passâmes à table dans une salle à manger où tout semblait calculé pour établir le maximum de distance entre les convives. Nuno servit un potage et de simples daurades grillées avec des légumes émincés. Je m’attendais à du vin blanc mais ce fut un rouge sec surprenant dont j’ai oublié le nom mais qui s’accordait parfaitement avec le plat. Le Porto Vintage revint au dessert composé des traditionnels Pasteis de Belém servis tièdes ainsi que d’autres spécialités. Le Porto Vintage nous suivit au salon où nous retournâmes pour le café et les cigares. Jenkins me fit visiter son humidor. Je m’approvisionne à la Casa Havaneza, au Chiado, vous savez, à côté du café Brasileira, juste derrière la statue de Pessoa. Nous coupâmes nos cigares, un Lusitania pour Jenkins et un Rey del Mundo pour moi. J’avais hésité en remarquant aussi une boîte de Joya, des cigares du Nicaragua. Jenkins s’en était aperçu et il insista pour m’offrir le coffret. La bouteille de Porto était vide. Je n’allumai mon Havane qu’après avoir fini mon verre. Jenkins sourit. C’est agréable, mon cher Antoine, de partager un peu de temps avec quelqu’un qui sait apprécier les bonnes choses. Ce n’est pas comme avec Nuno qui ne fume pas et qui ne boit que du thé. Enfin, personne n’est parfait. En vérité, il est honnête et serviable. Je peux lui faire confiance, il me l’a déjà prouvé depuis mon installation ici. Si nous descendions prendre un peu l’air ? Pendant que nous marchions tranquillement sous les cèdres du parc en finissant de fumer, une petite brise tiède se leva. Nous nous assîmes sur un banc. Voyez-vous, Antoine, je me sens bien ici. Dommage qu’il m’ait fallu attendre tout ce temps, toute une vie pour revenir chez moi. J’espère en profiter quelques années. J’allais protester pour la forme mais Jenkins me coupa. Le moment venu, je rejoindrai mes parents au cimetière anglais. Il y a de la place dans le caveau, j’ai renouvelé la concession mais je n’ai aucun héritier, personne pour intervenir en cas de problème avec cette sépulture. En principe, il n’y aura pas de souci mais je serais plus tranquille de savoir que quelqu’un puisse y jeter un œil si cela s’avérait nécessaire. Je ne peux pas demander cela à Nuno, il est trop jeune. Si vous acceptez, je prendrai toutes dispositions pour que, le cas échéant, après ma disparition, cela n’implique aucune dépense pour vous. Je crois avoir tout organisé au mieux pour mes obsèques. Ce sera à l’église Saint-Louis des Français. Je serai sûr d’avoir l’encens et l’orgue. Savez-vous que l’église abrite un petit Cavaillé-Coll ? Ce sera parfait pour moi. Jenkins desserra son nœud de cravate. Je ne savais que lui répondre. Vos parents vivaient à Lisbonne ? Je comprends mieux maintenant, dis-je. Oui, répondit Jenkins. Les affaires m’ayant conduit à Paris, j’ai pris la nationalité française par commodité. Je serai donc enterré au Portugal dans un cimetière anglais après des funérailles dans une église française ! Pour vous au moins, ce sera plus simple mais Dieu merci, vous avez l’avenir devant vous, comme Nuno. Je commençais à trouver cette conversation pesante. Jenkins le devina avec cette manie qu’il avait de lire dans les pensées. Allons, je vous ennuie, enchaîna-t-il, si nous parlions d’autre chose ? Je saisis la balle au bond et lui parlait de Charles Dautray. Jenkins se montra rassurant. Il s’est retiré de toutes ses activités mais il continue de percevoir ses droits sur l’exploitation de ses disques, ce qui n’est déjà pas si mal. J’approuvai mais ne pus m’empêcher d’ajouter : quel parcours étrange, tout de même... À voir Jenkins aussi impassible quand j’évoquais Charles Dautray, j’étais de plus en plus persuadé qu’il en savait plus à son sujet qu’il ne voulait bien le dire. Étrange ? reprit Jenkins, qu’est-ce qui ne l’est pas dans la vie. Je vous accorde que dans le milieu du classique, son cas peut sembler étrange mais pas plus qu’un parcours d’enfant prodige. Par exemple, personne ne trouve étrange qu’un Alexander Malofeev âgé de quatorze ans en 2015, c’est-à-dire à peine sorti de l’enfance, fasse un triomphe dans le deuxième concerto de Saint-Saëns, composé par un homme de trente-trois ans ! Si vous ne l’avez déjà fait, visionnez la vidéo sur You Tube. Tout le monde est saisi d’admiration mais personne ne trouve cela étrange. Nous pouvons pourtant convenir que ça l’est, vous ne trouvez pas ? Que peut-il bien se passer dans l’esprit et dans le corps d’un gamin de quatorze ans lorsqu’il accède à l’œuvre d’un compositeur dans la force de l’âge au point de la comprendre, de la maîtriser et de l’interpréter ? Peut-être la science aura-t-elle un jour la réponse...

Nous quittâmes le banc et marchâmes à nouveau en direction du bar du parc où nous trouvâmes une table libre sous les grands cèdres. J’essayai d’amener la conversation sur Marina mais Jenkins esquiva tout de suite. Mon cher Antoine, vous avez trente ans et moi bientôt quatre-vingt. Nous avons pourtant quelque chose en commun. Nous sommes des esprits rationnels conscients de vivre dans un monde absurde et nous n’avons pas le cœur à en étudier les bizarreries. Jenkins savait que je l’approuvais. C’est un peu ce que j’ai dit en d’autres termes à Nelson Gahern, répondis-je. Jenkins hocha la tête. Vous avez peut-être sauvé sa carrière et pour nous aussi, ce fut une excellente affaire, n’est-ce pas ? Nous commandâmes deux verres de Ginja. Jenkins semblait maintenant rêveur. Dans l’air toujours aussi doux, le soir s’annonçait par nos ombres qui s’allongeaient par terre sur les petits amas de brindilles, d’aiguilles et de feuilles mortes.

Le lendemain dans la matinée, je retrouvai Jenkins à la même table pour boire un dernier café dans le petit soleil avant mon départ. Je tenais à le saluer avant de prendre la navette jusqu’à l’aéroport. Il m’accueillit de son sourire diplomatique, à l’image de ses cravates, mais il y avait plus dans son regard, une sorte d’indulgence amicale assez inhabituelle chez lui. Vous voyez, Antoine, cette heure est une de mes préférées au Principe Real. Si je devais renaître à votre âge, ce serait un beau jour de septembre à dix heures, après avoir abandonné de poussiéreux chagrins, un jour où tout le monde travaillerait sauf moi, bien entendu. Je lui répondis en souriant : décidément, vous me faites penser à moi quand j’étais jeune ! Nous partîmes d’un bon rire. Excellent, mon cher Antoine, excellent ! Jenkins me donna l’accolade, moins brève que d’habitude. C’était un adieu.

Lors de ses obsèques, un matin clair d’avril, je fus surpris par le nombre de personnes rassemblées dans l’église Saint-Louis des Français. Je reconnus quelques relations professionnelles en regagnant ma place après la bénédiction du cercueil surmonté de la croix pendant que l'organiste donnait le Récit de Tierce en Taille extrait de la Messe de Nicolas de Grigny. À la sortie, il joua la Communion de Lefébure-Wély, peut-être un ultime clin d’œil de Jenkins aux puristes. Avant de quitter l’église, je vis Nuno qui se tenait à l’écart non loin de la porte. Je m’avançai, lui serrai la main et lui présentai mes condoléances. Il sembla me reconnaître.

Ce fut à Paris, chez le notaire de Jenkins, que j’entendis parler de Nuno pour la dernière fois. Il était l’un des trois héritiers désignés par Jenkins, les deux autres étant la Société protectrice des animaux et moi-même. Le notaire, une jeune femme aux ongles peints, me présenta quantité de documents à parapher et m’informa que les fonds ne seraient pas disponibles avant six mois, ce qui était un délai plutôt court pour une succession aussi importante. Mais monsieur Jenkins a pensé à tout, ajouta-t-elle en refermant les dossiers dont elle m'avait lu les contenus. Elle leva les yeux et m'envoya un regard matois. Vous voilà prêt pour réaliser des projets d'envergure... Que pouvais-je lui répondre ? Un ange passa. Des projets ? Eh bien oui, des projets qui vous tiennent à cœur... Peut-être, je ne sais pas, en réalité, non, pas de projet particulier. Elle eut une moue incrédule. Elle m'accompagna vers la sortie et me serra la main. Tout le monde a des projets, dit-elle. Je détaillai les motifs or de ses ongles peints. Finalement, si, j'ai un projet, celui de ne rien faire. Vous êtes un peu jeune pour ça, non ? Elle semblait navrée. Oh, guère plus que vous, répondis-je. Elle insista. Mais pourquoi vous ne voulez rien faire ? Parce que c'est ma nature et mon destin.

 

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Les personnages que l'on rencontre dans ce roman  :

Charles Dautray, pianiste.
Aaron Jenkins, agent artistique, producteur.
Antoine Magnard, rédacteur. (Antoine-Marie Magnard Mongins de la Force).
Marina, jeune femme en colère.
Docteur Émilien Bouvardel.
Le Butler, agent immobilier.
Le curé.
Nelson Gahern, pianiste.
La prostituée-voyante extra-lucide.
L'agent de sécurité.
Le barman au nœud papillon de travers.
Nuno.
Reynald Osborne, pianiste décédé.
Constantin Machialys, pianiste décédé.
Oleg Vorodine, pianiste décédé.
Le notaire aux ongles peints.
Une passante de Lisbonne.
Le pianiste du café Florian à Venise.

 

Résumé et critique du roman à lire sur le blog de Jean-Jacques Nuel :

« Le roman se constitue des récits croisés des différents protagonistes, qui forment comme les pièces d'un puzzle. On se déplace à Lyon, Paris, Barcelone, Venise et Lisbonne, on prend quelques détours par Oyonnax et Nantua. L'action progresse vers une fin surprenante. »

Renseignements et commandes :

Éditions Orage-Lagune-Express

Broché ‏ : ‎ 218 pages

ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8745269714

Poids de l'article ‏ : ‎ 299 g

Dimensions ‏ : ‎ 12.85 x 1.4 x 19.84 cm

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Pour les personnes de ma région (Oyonnax et Jura), ce livre ainsi que certains de mes autres titres sont disponibles en prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax (centre culturel Aragon).

 

01 octobre 2022

Carnet de nuit

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C’est parce que je voudrais écrire un livre gorgé de soleil que j’ai rendez-vous chaque nuit sous la petite lampe bleue.

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Pourquoi vouloir faire advenir des formes comme en sont les poèmes dans un monde qui en est rempli et qui est lui-même l’une d’elles ?

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J’ai tellement horreur du travail que je fais tout ce que je peux pour le dissimuler dans ce que j’écris. Je voudrais qu’on puisse croire que mes livres sont venus tout seuls sans que j’aie à fournir d’effort, qu’ils donnent l’impression d’avoir été écrits sous la dictée, comme si une puissance supérieure eût fait de moi son instrument d’écriture.
Si quelqu’un me dit : « Ce livre a dû te demander beaucoup de travail », je suis triste et un peu vexé parce que pour moi, cela signifie que pour le lire, le lecteur a probablement été contraint de fournir un effort, c’est-à-dire quelque chose de pénible.

 

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